Une jolie phrase aux lèvres, Oswald erre dans les couloirs de Saint George en parlant comme un poète. Il aime bien parler d’une façon modérée, avec une voix modérée, de choses modérées. Plus près d’une lente mélancolie verlainienne, il méprise le romantisme même et ses grandes exaltations. Oswald veut le contrôle. Mais il sait qu’il ne l’aura jamais. Ses regards seront toujours trop forts, ses colères trop violentes, ses amours trop ravageuses. Peut-être que si l’Allemand tient autant à la modération verbale, c’est pour cacher la brutalité de son cœur. Si vous saviez à quel point il essaye d’être aimable avant que l’orage n’éclate ! Il suffit d’un rien, d’une phrase un peu hasardeuse, d’une œillade mal placée, pour que son regard prenne feu. Alors commence l’ivresse. Ses jambes dansent comme des guerrières et ses poings, lourds d’animosité, viennent s’écraser sur le visage de l’adversaire, et ses ongles, ses ongles s’enfoncent dans le cou de l’autre, dans le dos de l’autre parfois jusqu’au sang. On trouve étrange la manière qu’a Oswald de se battre, toutes griffes sorties. « Comme une gonzesse ». Mais notre jeune homme s’en fout. Lui, il veut voir la douleur. Il veut voir le sang, l’œil gonflé, le bleu de la défaite sur la peau de l’ennemi. Une fois la bataille finie, la démence repart comme elle était venue. Excepté un petit reste, un petit bout de rancune qui s’attarde entre les pupilles d’Oswald.

Oswald est beau comme un chasseur, comme un prédateur. Les muscles tendus, toujours, et une certaine attention constante dans ses yeux de givre. Ils restent fixes. Sur toi, sur elle, sur cette crevasse dans le mur. Ils restent parfaitement immobiles. Les gens n’y sont pas habitués, à ces regards qu’il lance, à ces grappins qu’il vous jette à la gueule et qui s’accrochent à vos pupilles, à vos lèvres, à ce grain de beauté sous votre clavicule. Il y a de la violence dans ses prunelles, une sorte de dureté amère, de désir de vous mettre à mal. C’est aussi pour lui une façon de s’approprier votre personne. De vous cerner. Et de temps en temps, ses cils battent comme les ailes d’un oiseau noir, et puis Oswald passe à autre chose. Quand vous l’observez fixer sa nouvelle attention, son regard vous paraît différent. Il a l’air fatigué tout à coup, presque las. Ce sont sans doute ses cernes. Lourdes, gonflées, elles suivent ses paupières sur toute leur longueur. Il a l’air malade, Oswald. Avec sa peau blanchâtre et ses lèvres blêmes, et ses cheveux noirs qui s’affaissent parfois sur son front blafard.  + Mais l’Allemand est toujours sur ses gardes, vous le savez. Ses mains veineuses sont constamment agrippées à quelque chose, et souvent agrippées à elles-mêmes. Ses doigts se croisent, se décroisent, comme s’ils suivent une sorte de rituel désormais devenu mécanique. Parfois, vous vous demandez si Oswald le remarque mais vous n’oseriez pas lui poser la question. C’est peut-être sa moue qui vous met mal à l’aise, ou ses yeux d’un bleu dur, ou sa voix grave et traînante. Vous ne savez pas. Mais vous continuez à le regarder, vous le voyez passer sa main dans sa crinière noire et glisser sur l’espèce de jabot blanc qu’il porte autour du cou. Vous pensez que ça fait un joli contraste, ces mèches sombres frôlant ce tissu presque aussi pâle que la peau d’Oswald. Vous ne l’avez jamais vu sans cet accessoire et vous vous demandez, parfois, si c’est pour cacher des blessures secrètes.