Seraphim est mignonne. Seraphim est dans un couloir, puis aussitôt dans un autre. Seraphim parle beaucoup, pour dire pas grand-chose. Seraphim parle fort, aussi. Seraphim est très active. Seraphim est envahissante. Seraphim aime les secrets, sans savoir les garder. Seraphim aime aussi les promesses qu’elle oublie l’heure suivante. Seraphim a pour batterie une pile infinie. Seraphim ne sait pas se tenir. Seraphim est une enfant. Seraphime, Seraphim, ta gueule, Seraphim.

Elle est très chiante, Seraphim. Elle n’est absolument pas mature, et n’a aucun respect de la vie privée de l’autre. Ca va deux secondes, mais ça énerve vite. Elle est mignonne, pourtant. Et elle n’était pas comme ça avant. Avant d’arriver, elle était la plus mature des adolescentes. Elle était obéissante, douce, réservée et polie. Elle se tenait droite, elle parlait en murmurant gentiment, et elle savait rester sur une chaise des heures durant. Lorsqu’elle a été vendue, elle s’est juste un peu remise en cause. Elle s’est dit que peut-être, peut-être seulement, c’était de sa faute, qu’elle n’était pas assez bien. Alors elle est devenue « maniaco-dépressive », comme disent les gars en blouse blanche. A défaut d’être simplement dépressive, elle a décidé de devenir bipolaire. Youhou. C’est marrant, parfois. Elle passe d’un état à l’autre. Elle est heureuse, puis très triste. Elle se balance gaiement sur une balançoire, puis elle essaye de se pendre avec la corde. Elle mange beaucoup et pique dans ton assiette, après elle vomit tout dans les toilettes de la cantine.

Seraphim, parle, Seraphim, Seraphim. Elle ne dit plus rien, Seraphim. Elle ne sourit plus, Seraphim. Elle est triste et morne, Seraphim. Elle ne bouge pas, comme une morte, Seraphim. Son visage est très sombre, à Seraphim. Elle n’écoute plus personne, Seraphim. Toute la journée, elle regarde la fenêtre, Seraphim. Elle est très lunatique, Seraphim. Elle ne sait pas ce qu’elle veut, Seraphim. Souris, Seraphim. C’est plus drôle quand tu souris.

J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans. Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans, De vers, de billets doux, de procès, de romances, Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances, Cache moins de secrets que mon triste cerveau. C’est une pyramide, un immense caveau, Qui contient plus de morts que la fosse commune. — Je suis un cimetière abhorré de la lune, Où comme des remords se traînent de longs vers Qui s’acharnent toujours sur mes morts les plus chers. Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées, Où gît tout un fouillis de modes surannées, Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher, Seuls, respirent l’odeur d’un flacon débouché. Rien n’égale en longueur les boiteuses journées, Quand sous les lourds flocons des neigeuses années L’ennui, fruit de la morne incuriosité, Prend les proportions de l’immortalité. Désormais tu n’es plus, ô matière vivante ! Qu’un granit entouré d’une vague épouvante, Assoupi dans le fond d’un Sahara brumeux ; Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux, Oublié sur la carte, et dont l’humeur farouche Ne chante qu’aux rayons du soleil qui se couche.